« Jour 6 » : 1er jour de la reprise de l’audience d’extradition, le 7 septembre 2020.
Aujourd’hui je me suis rendu au tribunal de Old Bailey en m’attendant
à être impressionné par la majestuosité de la loi, et j’en suis revenu
révolté par l’administration sordide de l’injustice.
Il y a un certain romantisme qui entoure le Old Bailey. Le nom
signifie bien sûr enceinte fortifiée et il se dresse sur une parcelle de
terrain millénaire au bord de l’ancienne muraille de la ville de
Londres. C’est le site de la prison médiévale de Newgate, et des procès
officiels ont eu lieu au Old Bailey depuis au moins 500 ans, par
centaines de milliers. Pendant la majeure partie de cette période, les
personnes condamnées, même pour des délits mineurs de vol, étaient
emmenées et exécutées dans la ruelle à l’extérieur. On pense que des
centaines, voire des milliers de personnes sont enterrées sous les
trottoirs.
L’architecture gothique imposante de l’actuel grand bâtiment pas plus
ancien que 1905, et l’arrière et les côtés sont bordés d’un horrible
bâtiment utilitaire bon marché datant des années 1930. C’est par une
entrée en tunnel dans cette partie que cinq d’entre nous, la famille et
les amis désignés par Julian, ont nerveusement marché ce matin. On nous a
fait monter à la Cour 10 par de nombreux escaliers qui semblaient être
l’entrée arrière d’une cantine d’usine particulièrement mal tenue. Les
carreaux étaient ébréchés, les murs sales et des éclats de peinture
pendaient des plafonds en ruine. Seules les caméras de sécurité qui nous
observaient étaient neuves – si neuves, en fait, que des petits tas de
poussière de plâtre et de briques se trouvaient sous chacune d’elles.
La Cour 10 semblait être une salle moderne assez lumineuse et
ouverte, avec une agréable menuiserie légère, coincée comme une
mezzanine à l’intérieur d’une grande voûte de l’ancien bâtiment. Une
arche massive s’introduisait de façon incongrue dans l’espace et était
manifestement humide, des feuilles de peinture blanche décollées
tombaient comme des drapeaux en berne. Le banc des accusés dans lequel
Julian serait détenu avait toujours un écran de verre pare-balles
devant, comme à Belmarsh, mais il n’était pas clos. L’écran ne montait
pas jusqu’au plafond de sorte que le son pouvait circuler librement et
Julian semblait beaucoup plus présent. Il y avait également beaucoup
plus de petites fentes, plus larges que la fameuse cabine de Belmarsh,
et Julian pouvait communiquer assez facilement et librement avec ses
avocats, ce qu’on ne lui a pas interdit cette fois-ci.
À notre grande surprise, personne d’autre que nous cinq n’a été
autorisé à pénétrer dans la galerie publique du tribunal 10. D’autres,
comme John Pilger et Kristin Hrafnsson, rédacteur en chef de Wikileaks,
ont été dirigés vers le tribunal 9 adjacent, où un très petit nombre
d’entre eux ont été autorisés à fixer, les yeux plissés, un écran
minuscule sur lequel le son était si inaudible que John Pilger est
simplement parti. Beaucoup d’autres personnes qui s’attendaient à
assister à l’audience, comme Amnesty International et Reporters sans
frontières, ont tout simplement été exclues, tout comme les députés du
parlement fédéral allemand (les députés allemands et Reporters sans
frontières ont eu plus tard accès à la vidéo, suite à de fortes
pressions de l’ambassade allemande).
La raison invoquée pour justifier le fait que seuls cinq d’entre nous
étaient admis dans la galerie publique de quelque 40 sièges était la
distanciation sociale ; sauf que nous étions autorisés à nous asseoir
tous ensemble sur des sièges contigus au premier rang. Les deux rangées
derrière nous sont restées complètement vides.
Pour terminer la mise en scène, Julian lui-même avait l’air soigné et
bien habillé, et semblait avoir repris un peu de poids, mais avec un
certain gonflement malsain de ses traits. Le matin, il semblait détaché
et désorienté comme à Belmarsh, mais l’après-midi, il s’est relevé et
s’est beaucoup investi auprès de son équipe de défense, interagissant
aussi normalement qu’on pouvait s’y attendre dans ces circonstances.
La procédure a commencé par les formalités liées à la libération de
Julian en vertu de l’ancien mandat d’extradition et à sa ré-arrestation
en vertu du nouveau mandat, qui ont eu lieu ce matin. La défense et
l’accusation ont toutes deux convenu que les points qu’elles avaient
déjà débattus sur l’interdiction d’extradition pour des délits
politiques n’étaient pas affectés par l’acte d’accusation remplaçant.
La magistrate Baraitser a ensuite fait une déclaration sur l’accès au
tribunal par audition à distance, c’est-à-dire en ligne. Elle a déclaré
qu’un certain nombre de détails d’accès avaient été envoyés par erreur
par le tribunal sans son accord. Elle avait donc révoqué leurs
autorisations d’accès.
Au moment où elle s’exprimait, nous, au tribunal, n’avions aucune
idée de ce qui s’était passé, mais à l’extérieur régnait une certaine
consternation en ce sens que l’accès en ligne d’Amnesty International,
de Reporters sans frontières, de John Pilger et de quarante autres
personnes avait été refusé. Comme ces personnes n’avaient pas été
autorisées à assister au tribunal ni à observer en ligne, cela a
provoqué une certaine indignation.
Mme Baraitser a poursuivi en disant qu’il était important que
l’audience soit publique, mais qu’elle ne devait accepter l’accès à
distance que lorsqu’il était « dans l’intérêt de la justice », et
qu’après l’avoir examiné, elle avait décidé qu’il ne l’était pas. Elle a
expliqué cela en déclarant que le public pouvait normalement observer
de l’intérieur de la salle d’audience, où elle pouvait contrôler son
comportement. Mais si le public avait accès à distance, elle ne pouvait
pas contrôler son comportement et que cela n’était pas dans « l’intérêt
de la justice ».
Mme Baraitser ne s’est pas étendue sur quel comportement incontrôlé
elle s’attendait de la part de ceux qui observaient via Internet. Il est
certainement vrai qu’un observateur d’Amnesty assis chez lui peut être
en sous-vêtements, fredonner la bande son complète de « Mamma Mia » ou
lâcher un gros pet. Sans plus de précisions de la part de la juge, il ne
nous reste qu’à spéculer sur les raisons pour lesquelles cela porterait
atteinte aux « intérêts de la justice ». Mais il est évident que les
intérêts de la justice seraient mieux servis si presque personne ne
pouvait examiner la « justice » de trop près.
La prochaine « question d’ordre administratif » à traiter est celle
de la manière dont les témoins doivent être entendus. La défense a
appelé de nombreux témoins, et chacun d’entre eux a déposé une
déclaration écrite. L’accusation et Baraitser ont tous deux suggéré que,
ayant fait leur déposition par écrit, il n’était pas nécessaire que les
témoins de la défense fassent cette déposition oralement en audience
publique. Il serait beaucoup plus rapide de passer directement au
contre-interrogatoire par l’accusation.
Pour la défense, Edward Fitzgerald QC a rétorqué que la justice
devrait être rendue par le public. Le public devrait pouvoir entendre
les preuves de la défense avant d’entendre le contre-interrogatoire.
Cela permettrait également à Julian Assange d’entendre le résumé des
preuves, ce qui était important pour lui afin de suivre l’affaire étant
donné son manque d’accès aux documents juridiques pendant son séjour à
la prison de Belmarsh.
Baraitser a déclaré qu’il ne serait pas nécessaire que les preuves
qui lui ont été soumises par écrit soient répétées oralement. Pour la
défense, Mark Summers QC n’était pas prêt à lâcher prise et la tension
est sensiblement montée d’un cran. Summers a déclaré qu’il était normal
qu’il y ait « une exposition méthodique et rationnelle des preuves ».
Quant à l’accusation, James Lewis QC a nié cette affirmation, déclarant
que ce n’était pas une procédure normale.
Baraitser a déclaré qu’elle ne voyait pas pourquoi les témoins
devraient être programmés pour une heure quarante-cinq minutes chacun,
ce qui était trop long. Lewis est d’accord. Il a également ajouté que
l’accusation n’accepte pas que les témoins experts présentés par la
défense soient des témoins experts. Un professeur de journalisme qui
parle de la couverture des journaux ne compte pas. Un témoin expert ne
devrait témoigner que sur un point technique que le tribunal n’est pas
qualifié pour examiner. Lewis a également objecté qu’en témoignant
oralement, les témoins de la défense pouvaient énoncer des faits
nouveaux auxquels le ministère public n’avait pas eu le temps de réagir.
Baraitser a fait remarquer que les déclarations écrites de la défense
étaient publiées en ligne, et qu’elles étaient donc accessibles au
public.
Edward Fitzgerald QC se lève pour reprendre la parole, et Baraitser
s’adresse à lui sur un ton de mépris assez extraordinaire. Voici ce
qu’elle a dit précisément : « Je vous ai donné toutes les chances. Y
a-t-il vraiment autre chose que vous voulez dire », le mot « vraiment »
étant très fortement souligné et sarcastique. Fitzgerald a refusé de
s’asseoir, et il a déclaré que l’affaire en cours présentait « des
questions substantielles et nouvelles touchant à des questions
fondamentales des droits de l’homme ». Il était important que les
preuves soient données en public. Cela a également donné aux témoins
l’occasion de souligner les points clés de leur témoignage et les points
auxquels ils accordent le plus de poids.
Mme Baraitser a demandé une brève suspension d’audience afin
d’examiner cette question, puis est revenue. Elle s’est opposée à ce que
les témoins de la défense témoignent en audience publique, mais a
accepté que chaque témoin dispose d’une demi-heure pour se faire guider
par les avocats de la défense, afin de leur permettre de s’orienter et
de reprendre connaissance de leur témoignage avant le
contre-interrogatoire.
Cette demi-heure pour chaque témoin représentait une sorte de
compromis, en ce sens qu’au moins la preuve de base de chaque témoin de
la défense serait entendue par le tribunal et le public (dans la mesure
où le public était autorisé à entendre quoi que ce soit). Mais l’idée
qu’une limite maximum standard d’une demi-heure soit raisonnable pour
tous les témoins, qu’ils témoignent d’un seul fait ou de l’évolution de
la situation au fil des ans, est tout simplement absurde. Ce qui est
ressorti le plus fortement de cette réponse, c’est le désir du juge et
de l’accusation de faire passer l’extradition par le chemin le plus
court possible, sans que l’affaire ne soit rendue publique.
Lorsque le juge a levé la séance pour une courte pause, nous avons
pensé que ces questions étaient maintenant résolues et que le reste de
la journée serait plus calme. Nous nous trompions lourdement.
Le tribunal a repris ses travaux avec une nouvelle requête de la
défense, dirigée par Mark Summers QC, concernant les nouvelles
accusations du gouvernement américain qui remplacent les anciennes.
Summers a rappelé à la cour l’historique de cette audience
d’extradition. Le premier acte d’accusation avait été établi en mars
2018. En janvier 2019, une demande d’extradition provisoire avait été
faite, qui avait été mise en œuvre en avril 2019 lors de l’extraction
d’Assange de l’ambassade. En juin 2019, cette demande a été remplacée
par la demande complète avec un nouvel acte d’accusation qui avait été
la base de cette procédure jusqu’à aujourd’hui. Toute une série
d’audiences ont eu lieu sur la base de ce deuxième acte d’accusation.
Le nouvel acte d’accusation qui le remplace date du 20 juin 2020. En
février et mai 2020, le gouvernement américain avait autorisé la tenue
d’audiences sur la base du deuxième acte d’accusation, sans préavis,
même si à ce stade, il devait savoir que le nouvel acte d’accusation
allait être publié. Il n’avait donné aucune explication ni présenté
d’excuses à ce sujet.
La défense n’avait pas été correctement informée de l’acte
d’accusation qui le remplace, et n’avait en fait appris son existence
que par un communiqué de presse du gouvernement américain le 20 juin. Ce
n’est que le 29 juillet, il y a tout juste six semaines, que l’acte
d’accusation a finalement été officiellement signifié dans le cadre de
cette procédure. Au début, il n’était pas évident de savoir comment
l’acte d’accusation remplaçant allait avoir une incidence sur les
charges, car le gouvernement américain était en train de dire qu’il ne
faisait aucune différence mais se contentait de donner des détails
supplémentaires. Mais le 21 août 2020, pas avant, il est finalement
apparu clairement dans les nouveaux documents du gouvernement américain
que les accusations elles-mêmes avaient été modifiées.
Il y avait maintenant de nouvelles accusations qui étaient
indépendantes et sans rapport avec les allégations précédentes. Même si
les 18 accusations liées à Manning étaient rejetées, ces nouvelles
allégations pourraient toujours constituer un motif d’extradition. Parmi
ces nouvelles allégations, on peut citer l’encouragement au vol de
données d’une banque et du gouvernement islandais, la transmission
d’informations sur le suivi de véhicules de police et le piratage des
ordinateurs de particuliers et d’une société de sécurité.
« On ne sait pas quelle proportion de ce nouveau matériel présumé est
criminel », a déclaré M. Summers, qui a ajouté qu’il n’était pas du
tout évident qu’un Australien donnant des conseils à quelqu’un en
Islande depuis l’étranger sur la manière de déchiffrer un code soit en
fait criminel si cela se produisait au Royaume-Uni. Et ce, même sans
tenir compte également du test de double incrimination aux États-Unis,
qui doit être validé avant que le comportement ne fasse l’objet d’une
extradition.
Il était impensable que des allégations de cette ampleur fassent
l’objet d’une nouvelle audience d’extradition dans un délai de six
semaines si elles étaient présentées comme un nouveau cas. Il est clair
que cela ne donnait pas à la défense le temps de se préparer ou de faire
venir des témoins pour ces nouvelles accusations. Parmi les questions
relatives à ces nouvelles accusations que la défense souhaiterait
aborder, certaines n’étaient pas de nature pénale, d’autres étaient hors
délai, d’autres encore avaient déjà fait l’objet d’accusations dans
d’autres instances (notamment le tribunal de Southwark et les tribunaux
américains).
Il y avait également des questions importantes à se poser sur les
origines de certaines de ces accusations et la nature douteuse des
témoins. En particulier, le témoin identifié comme « adolescent »
(« teenager ») était la même personne que celle identifiée comme
« Islande 1 » dans l’acte d’accusation précédent. Cet acte d’accusation
contenait un « alerte concernant la santé » du témoin, donné par le
ministère américain de la justice. Ce nouvel acte d’accusation a
supprimé cette alerte. Mais le fait est que ce témoin est Sigurdur
Thordarson, qui avait été condamné en Islande en relation avec ces
événements de fraude, de vol, de vol d’argent et de matériel Wikileaks
et d’usurpation d’identité de Julian Assange.
L’acte d’accusation n’indique pas que le FBI a été « expulsé
d’Islande pour avoir tenté d’utiliser Thordarson pour piéger Assange », a
déclaré Summers sans ambages.
Summers a déclaré que toutes ces questions devraient être traitées
lors de ces audiences si les nouvelles accusations devaient être
entendues, mais la défense n’a tout simplement pas eu le temps de
préparer ses réponses ou ses témoins dans les six brèves semaines qui se
sont écoulées depuis qu’elle les a reçues, même en mettant de côté les
problèmes extrêmes de contact avec Assange dans les conditions dans
lesquelles il était détenu à la prison de Belmarsh.
La défense aurait manifestement besoin de temps pour préparer ses
réponses à ces nouvelles accusations, mais il serait manifestement
injuste de maintenir Assange en prison pendant les mois que cela
prendrait. La défense a donc suggéré que ces nouvelles accusations
soient retirées de la liste des agissements à examiner par le tribunal
et que les preuves de comportement criminel soient limitées aux
agissements qui avaient été précédemment allégués.
Summers a fait valoir qu’il était « tout à fait injuste » d’ajouter
ce qui était en droit de nouvelles allégations criminelles distinctes, à
bref délai et « entièrement sans préavis et sans donner à la défense le
temps d’y répondre ». Ce qui se passe ici est anormal, injuste et
susceptible de créer une réelle injustice si on le laissait se
poursuivre ».
Les arguments présentés par l’accusation reposent désormais sur ces
toutes nouvelles allégations. Par exemple, l’accusation a maintenant
contré les arguments sur les droits des lanceurs d’alerte et la
nécessité de révéler les crimes de guerre en déclarant qu’il ne pouvait
pas y avoir de telle nécessité pour pirater une banque en Islande.
Summers a conclu que « l’affaire devrait se limiter à la conduite que
le gouvernement américain avait jugé bon d’alléguer au cours des
dix-huit mois de l’affaire » avant leur deuxième nouvelle mise en
accusation.
Répondant à Summers pour l’accusation, Joel Smith QC a répondu que le
juge était obligé par la loi de prendre en considération les nouvelles
accusations et ne pouvait pas les retirer. « S’il n’y a rien de correct
dans la restitution d’une nouvelle demande d’extradition après le rejet
d’une première demande, il n’y a rien d’abusif dans le remplacement d’un
acte d’accusation avant le rejet de la première demande ». En vertu de
la loi sur l’extradition, le tribunal ne doit se prononcer que sur la
question de savoir si l’infraction est susceptible d’extradition et si
le comportement allégué répond au critère de double incrimination. Le
tribunal n’a pas d’autre rôle et n’est pas compétent pour rejeter une
partie de la demande.
M. Smith a déclaré que toutes les autorités (précédents) ont été
amenées à retirer des charges d’une affaire pour permettre l’extradition
sur la base des charges solides restantes, et que les charges qui ont
été retirées ne l’ont été que sur la base de la double incrimination. Il
n’y a pas eu d’exemple d’inculpation ayant fait l’objet d’une telle
mesure pour empêcher une extradition. Et la décision de rejeter les
charges n’a jamais été prise qu’après que le comportement allégué ait
été examiné par le tribunal. Il n’y a aucun exemple de conduite alléguée
qui n’ait pas été examinée par le tribunal. Le défendeur peut demander
un délai supplémentaire si nécessaire, mais les nouvelles allégations
doivent être examinées.
Summers a répondu que Smith avait « tort, tort, tort et tort ».
« Nous ne disons pas que vous ne pouvez jamais soumettre un nouvel acte
d’accusation, mais vous ne pouvez pas le faire six semaines avant
l’audience sur le fond ». Les effets de ce que Smith avait dit ne se
sont pas élevés à plus de « Ha ha c’est ce que nous faisons et vous ne
pouvez pas nous arrêter ». Un changement substantiel de dernière minute
avait été effectué sans explication ni excuse. Il ne pouvait être
question, comme le prétendait Smith, d’un pouvoir autorisant l’accise
sur les charges en équité envers l’accusation, mais il n’y avait aucun
pouvoir autorisant l’accise sur les charges en équité envers la défense.
Aussitôt Summers s’est assis, Baraitser a donné son avis sur ce
point. Comme souvent lors de cette audience, il s’agissait d’un jugement
pré-écrit. Elle l’a lu à partir d’un ordinateur portable qu’elle avait
apporté avec elle dans la salle d’audience, et elle n’a apporté aucune
modification à ce document alors que Summers et Smith plaidaient
l’affaire devant elle.
Baraitser a déclaré qu’il lui avait été demandé, à titre
préliminaire, de retirer de l’affaire certains comportements allégués.
M. Summers a qualifié d’extraordinaire la réception de nouvelles
allégations. Toutefois, « j’ai offert à la défense la possibilité
d’ajourner l’affaire » pour leur donner le temps de se préparer à faire
face aux nouvelles allégations. « J’ai bien sûr considéré que M. Assange
était en détention. J’ai entendu dire que M. Summers estime qu’il
s’agit d’une injustice fondamentale ». Mais « l’argument selon lequel
nous n’avons pas le temps, devrait être corrigé en demandant du temps ».
M. Summers avait soulevé des questions de double incrimination et
d’abus de procédure ; rien ne l’empêchait de soulever ces arguments dans
le cadre de l’examen de la demande telle qu’elle est maintenant
présentée.
Baraitser a simplement ignoré l’argument selon lequel, s’il n’y avait
effectivement « rien qui empêchait » la défense de répondre aux
nouvelles allégations au fur et à mesure de l’examen de chacune d’entre
elles, il ne leur avait pas été donné le temps nécessaire pour se
préparer de manière adéquate. Après avoir lu son jugement préparé à
l’avance pour procéder sur la base du nouvel acte d’accusation,
Baraitser a ajourné le tribunal pour le déjeuner.
À la fin de la journée, j’ai eu l’occasion de parler à une avocate
extrêmement distinguée et bien connue au sujet de l’introduction par
Baraitser de jugements pré-rédigés au tribunal, préparés avant qu’elle
n’ait entendu les avocats plaider l’affaire qui lui était soumise. J’ai
cru comprendre qu’elle avait déjà vu les grandes lignes d’arguments
pré-écrits, mais c’était pour sûr une mauvaise pratique. À quoi servait
que les avocats se disputent pendant des heures si le jugement était
pré-écrit ? Ce que je voulais vraiment savoir, c’était dans quelle
mesure il s’agissait d’une pratique normale.
L’avocate m’a répondu que ce n’était absolument pas une pratique
normale, que c’était totalement scandaleux. Au cours d’une longue et
éminente carrière, cette avocate avait très occasionnellement vu cela se
produire, même à la Haute Cour, mais il y avait toujours un effort pour
dissimuler le fait, peut-être en insérant une référence à des points
faits oralement dans la salle d’audience. Baraitser ne faisait aucun
effort. La question était, bien sûr, de savoir si c’était son propre
jugement pré-écrit qu’elle lisait, ou quelque chose qui lui avait été
donné d’en haut.
Ce fut une matinée assez choquante. L’imposition d’un temps limite
aux témoins de la défense pour faire avancer l’affaire, et même la
tentative de s’assurer que leurs témoignages ne soient pas entendus
devant le tribunal, à l’exception des parties que l’accusation a jugé
bon d’attaquer lors du contre-interrogatoire, ont été à couper le
souffle. L’effort de la défense pour retirer l’acte d’accusation de
dernière minute a été un point fondamental qui a été tranché
sommairement. Une fois encore, le comportement et le langage même de
Baraitser n’ont guère tenté de dissimuler son hostilité à l’égard de la
défense.
Pour la deuxième fois de la journée, nous étions en pause, pensant
que les événements devaient maintenant se calmer et devenir moins
dramatiques. Une fois de plus, nous avions tort.
Le tribunal a repris ses travaux avec quarante minutes de retard
après le déjeuner, alors que diverses querelles de procédure étaient
traitées à huis clos. À la reprise de la séance, Mark Summers, pour la
défense, s’est levé avec une bombe.
Summers a déclaré que la défense avait « reconnu » le jugement que
Baraitser venait de rendre – un choix de mot très prudent, par
opposition à « respecté » qui pourrait sembler plus naturel. Comme elle
avait décidé que le remède au manque de temps était un délai plus long,
la défense a demandé un ajournement pour leur permettre de préparer les
réponses aux nouvelles accusations. Elle ne l’a pas fait à la légère,
car M. Assange allait continuer à être emprisonné dans des conditions
très difficiles pendant l’ajournement.
Summers a déclaré que la défense n’était tout simplement pas en
mesure de rassembler les preuves pour répondre aux nouvelles accusations
en quelques semaines seulement, une situation encore aggravée par les
restrictions de Covid. Il est vrai que le 14 août, Baraitser avait
proposé un ajournement et que le 21 août, ils avaient refusé l’offre.
Mais durant cette période, M. Assange n’avait pas eu accès aux nouvelles
accusations et ils n’avaient pas pleinement réalisé à quel point il
s’agissait d’une nouvelle affaire autonome. À cette date, M. Assange
n’avait toujours pas reçu en prison la note d’ouverture du nouveau
procès, qui était un document crucial pour établir l’importance des
nouvelles accusations.
Baraitser a demandé avec insistance si la défense pouvait parler à
Assange en prison par téléphone. Summers a répondu par l’affirmative,
mais il s’agissait de conversations extrêmement courtes. Ils ne
pouvaient pas téléphoner à M. Assange ; il ne pouvait appeler que très
brièvement à partir de la cabine téléphonique de la prison vers le
portable de quelqu’un, et le reste de l’équipe devait essayer de se
réunir autour pour écouter. Il n’a pas été possible, au cours de ces
très brèves discussions, d’exposer de manière adéquate des éléments
complexes. Entre le 14 et le 21 août, ils n’avaient pu avoir que deux
appels téléphoniques très courts de ce type. La défense ne pouvait
envoyer des documents à M. Assange que par la poste à la prison ; elle
ne les lui a pas toujours remis, ni n’a été autorisée à les conserver.
M. Baraitser demande combien de temps un ajournement est demandé. Summers a répondu jusqu’en janvier.
Pour le gouvernement américain, James Lewis QC a répondu que cette
demande devait être examinée plus en détail. Les nouveaux éléments de
l’acte d’accusation sont purement criminels. Elles n’affectent pas les
arguments sur la nature politique de l’affaire, ni la plupart des
témoins. Si un délai supplémentaire était accordé, « avec l’historique
de cette affaire, on nous présentera simplement un train d’autres
éléments qui n’auront aucune incidence sur la petite extension du chef
d’accusation numéro 2 ».
Baraitser a ajourné la séance « pour dix minutes » pendant qu’elle
sortait pour examiner son jugement. En fait, elle a pris beaucoup plus
de temps. À son retour, elle avait l’air particulièrement tendue.
Baraitser a décidé que le 14 août, elle avait donné à la défense la
possibilité de demander un ajournement, et leur avait donné sept jours
pour se prononcer. Le 21 août, la défense avait répondu qu’elle ne
voulait pas d’ajournement. Elle n’a pas répondu qu’elle n’avait pas eu
suffisamment de temps pour examiner la question. Aujourd’hui encore, la
défense n’a pas demandé d’ajournement, mais a plutôt demandé que les
nouvelles accusations soient rejetées. Ils « ne peuvent pas avoir été
surpris par ma décision » contre cette demande. Ils devaient donc être
prêts à procéder à l’audience. Leurs objections n’étaient pas fondées
sur des circonstances nouvelles. Les conditions d’Assange à Belmarsh
n’avaient pas changé depuis le 21 août. Ils avaient donc manqué leur
chance et la motion d’ajournement a été rejetée.
L’atmosphère de la salle d’audience était désormais très chargée.
Après avoir refusé, le matin, de supprimer l’acte d’accusation
remplaçant au motif que le remède au manque de temps devrait être un
délai supplémentaire, Baraitser refuse à présent de donner plus de
temps. La défense l’avait prise au mot ; l’État avait apparemment
confiance que les conditions à Belmarsh, équivalentes à de l’isolement,
était si terribles qu’Assange ne demanderait pas plus de temps. Je
soupçonne plutôt Julian de bluffer, et d’avoir pris à l’heure du
déjeuner sa décision de demander plus de temps dans l’espoir qu’on le
lui refuserait, et que l’hypocrisie de la procédure serait dévoilée.
J’ai déjà écrit sur mon blog que la supercherie procédurale du
remplacement par le nouvel acte d’accusation du second acte d’accusation
défaillant – comme Smith l’a dit pour l’accusation, « avant qu’il
n’échoue » – était quelque chose qui avait de quoi rendre quelqu’un
malade. Aujourd’hui, dans la salle d’audience, on pouvait sentir le
soufre.
Eh bien, une fois de plus, nous avons eu le sentiment que les choses
allaient se calmer. Cette fois, nous avions raison et elles sont
devenues atrocement banales. Nous sommes finalement passés au premier
témoin, le professeur Mark Feldstein, qui a témoigné devant le tribunal
par liaison vidéo depuis les États-Unis. Ce n’est pas la faute du
professeur Feldstein si la journée s’est terminée dans un climat de
confusion et de désordre. Le tribunal n’a pas été en mesure de faire
fonctionner la technologie vidéo. Pendant dix minutes émiettées sur
environ quarante, Feldstein a pu brièvement témoigner, et même cela
n’était pas du tout satisfaisant, car Mark Summers et lui parlaient sans
cesse en même temps lors de l’échange.
Le témoignage du professeur Feldstein reprendra demain (aujourd’hui
en fait, à l’heure ou ces lignes sont écrites) et je pense qu’au lieu de
le diviser, je vais en faire le compte rendu complet à ce moment-là. En
attendant, vous pouvez consulter ces excellents résumés de Kevin Gosztola ou les rapports du matin et de l’après-midi
de James Doleman. En fait, je vous serais reconnaissant de le faire,
afin que vous puissiez voir que je n’invente ni n’exagère les faits de
ces événements surprenants.
Si vous me demandiez de résumer aujourd’hui en un mot, ce mot serait
sans doute « passage en force ». Il s’agissait de faire avancer
l’audition le plus rapidement possible et en exposant le moins possible
au public ce qui se passait. Accès refusé, ajournement refusé,
exposition des preuves de la défense refusée, retrait des charges de
substitution refusé. L’accusation avait manifestement échoué cette
semaine-là à Woolwich au mois de février, mais tout cela semble bien
loin. Elle a maintenant reçu un nouvel élan.
Nous verrons comment la défense traitera les nouvelles accusations.
Il semble impossible qu’elle puisse le faire sans appeler de nouveaux
témoins pour traiter les nouveaux faits. Mais les listes de témoins
avaient déjà été finalisées sur la base des anciennes accusations. Que
la défense soit forcée de poursuivre avec les mauvais témoins semble
fou, mais franchement, je ne suis plus du tout surpris par quoi que ce
soit dans ce procès faussé.
Craig Murray